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les litanies de la mer


Et pour prix de sa foi te voilà maternelle.
Hélas ! sans cette mer que deviendraient les siens ?
Sa femme et ses petits, leur pâture est en elle.

Aussi pour lui tes flots se font magiciens :
Plus il prend de poisson, plus le poisson augmente.
Tu rends aux pauvres gueux les miracles anciens,

Multipliant le pain dont leur faim s’alimente,
Changeant ton eau salée en des pichets de vin,
Ô sorcière qui les nourris, Vierge clémente.

Vierge fidèle, ceux qui vers ton cœur divin
Ont exhalé leur deuil, leur joie ou leurs chimères,
On n’en connaît pas un qui t’ait priée en vain.

Au triste, avec ses pleurs tes larmes sont amères.
Au joyeux tu souris. À tous tu sais payer
En immortel amour leurs amours éphémères.

Vierge fidèle, ainsi quand revient au foyer
L’exilé moribond qui sentant fuir sa vie
Veut râler dans le nid qui l’a vu bégayer.

Il l’entre, et le foyer de sa flamme ravie
Tend vers lui ses rayons aux baisers réchauffants,
Heureux de contenter cette suprême envie ;

Ainsi tu gardes, toi, pour les vieux, les enfants,
L’irrésistible attrait d’une patrie, et douce
Ta tendresse leur fait des trépas triomphants.