Page:Richepin - La Mer, 1894.djvu/36

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
24
la mer


Ils ont connu pourtant ta voix qui se courrouce ;
Ils ont eu contre toi des luttes sans quartier ;
Depuis l’âge où l’on part en pleurant, pauvre mousse,

Jusqu’à l’âge où, fourbu, l’on quitte le métier,
Ils ont peiné sur toi durement et sans trêves,
De dix à soixante ans, un demi-siècle entier ;

Et ce qui reste encor d’huile à leurs lampes brèves
Au lieu de l’abriter dans la paix des maisons,
Ils viennent jusqu’au bout l’user au vent des grèves.

Il leur faut ton haleine et tes grands horizons,
La mouette effleurant les vagues d’un coup d’aile,
Les moutons écumeux secouant leurs toisons,

Et ton âme enfin, car leur âme est faite d’elle,
Âme d’enfants, cristal aussi clair que leurs yeux,
Aussi pur que ton cœur, cœur d’or, Vierge fidèle !

Miroir de la justice, exact et spacieux,
Devant qui tout défile, en qui rien ne demeure,
Où l’on peut de sa main toucher le fond des cieux,

Où l’homme épouvanté qui sombre, avant qu’il meure
Revoit comme un éclair sa vie en un moment !
Miroir impartial où sont à la même heure

Tous les matins levés, toutes les nuits dormant,
Tous les rayons, tous les fantômes de la nue,
Tout le fourmillement sans fin du firmament.