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les litanies de la mer


Formelle, quand alors au loin tu les étales
Ainsi qu’une corbeille effeuillée à l’autel
Et qu’arrangent en lit des mains sacerdotales ;

Idéale, car sous l’aspect accidentel
Que te donnent ainsi ces lueurs passagères
Nos périssables yeux perçoivent l’immortel !

Les rêves d’infini, c’est toi qui les suggères,
Rose mystique, rose idéale ; et mon cœur
A bien pu blasphémer leurs splendeurs mensongères.

Dire qu’à ces désirs éclot notre rancœur,
Et crier qu’on est sage en détournant sa bouche
De cette ténébreuse et soûlante liqueur,

Ô rose, malgré tout ton mystère me touche,
Et je ne vois jamais au fond de l’horizon
Dans ton immensité le soleil qui se couche,

Sans regretter le temps où ton divin poison
Guérissait le vieux mal qui ronge nos entrailles,
Le vieux mal de douter dont meurt notre raison.

Tour d’ivoire du haut de laquelle tu railles,
Ô foi, tranquille foi, nos doutes angoissés,
Tour d’ivoire, tour blanche aux solides murailles,

Tour de la certitude où vous vous prélassez,
Croyants dont rien n’abat la croyance vivace,
Croyants dans la prière et l’espoir cuirassés.