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Page:Rimbaud - La Mer et les poissons, 1870.djvu/29

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LA MER ET LES POISSONS.

de pêche qui détruisent ainsi les ferments d’abondance répandus dans les eaux. Au moins, ces pratiques arriérées se réduisent-elles à quelques faits isolés de maraudage dont les Hurons seraient seuls excusables ? Non, c’est l’usage général, dans la Méditerranée comme dans l’Océan, de donner aux instruments de capture une énergie qui s’accroît à mesure que le poisson devient plus rare. À voir cette inconsciente témérité, cette incroyable et navrante dilapidation des fruits du domaine social, on se croirait encore au milieu des ténèbres du premier âge du Monde, ou l’on s’imaginerait que nous traversons une de ces néfastes époques de famine pendant lesquelles toutes les règles de prudence s’effacent et disparaissent devant une nécessité impérieuse, celle d’échapper au danger de mourir de faim. Quelle insouciance de l’avenir dans cet acharnement à infertiliser, tout à la fois, les fonds du large et les fonds de la côte par un travail exterminateur des germes !

Mais la prévoyance dans la moisson on ne saurait l’espérer de l’initiative de l’industrie des pêches qui, sans rester étrangère à la civilisation, tient, cependant, à ses routines séculaires et à son insolidarité. « Si la mer, au lieu d’être une propriété indivisible de sa nature, disons-nous, page 177 de notre livre, pouvait, ainsi que le sol, être morcelée et adjugée par lots à des fermiers, il est probable que la multiplication et la succession des récoltes y seraient assurées par le même intérêt qui garantit l’ensemencement de la terre. Nous verrions là ce que nous voyons ici, la prévoyance se substituer à l’insouciance, la pensée de conserver et d’accroître faire place à l’âpre désir de s’emparer, le plus que l’on peut, d’une chose incessamment ravissable et qui, aujourd’hui, épargnée par un, sera, demain, saccagée par un autre. Mais la mer n’est pas susceptible de morcellement et, par suite, ses richesses se trouvent à la merci d’une exploitation incontinente, entraînée par un