Page:Ringuet - L’héritage, 1946.djvu/166

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

166
sept jours

Dame ! lorsqu’on en était à le contredire dans sa propre boutique. « Il y avait un bout ! »


JEUDI


Le ciel était en mouvement et le jour prolongeait une aube nébuleuse ; au lieu d’un azur uniforme et apaisant, un vent lourd bousculait là-haut des pyramides de nuages, en un écroulement hasardeux et jamais définitif.

Le boulanger en avait les nerfs en boule ; il était furieux. Aussi bien, rien n’allait depuis quelques jours ; au point qu’il avait raté sa fournée de brioches, hier ; pour la première fois en dix ans.

Debout sur le seuil, le bonnet blanc en bataille, il attendait Germaine partie depuis une demi-heure s’acheter une paire de bas. Enfin ! la voilà :

— Veux-tu ben me dire, pour l’amour, qu’est-ce que t’as fait, à berlander de même. Ça prend pas deux heures pour acheter une paire de bas !

Mais chaque jour de la semaine voyait Germaine plus à cran. Jamais elle ne s’était sentie aussi grincheuse. Pour se distraire, tout à l’heure, elle avait fait un détour qui l’avait conduite devant l’Hôtel du Nord. Monsieur Lindsay était assis sur la véranda, à lire. Il n’avait pas levé les yeux.

— Toi, laisse-moi tranquille. J’suis fatiguée.

Elle tourna le dos à son mari, comme elle le faisait jour et nuit depuis trois jours.

Devant la mairie, monsieur Lemay arrosait la pelouse ; il arrosait surtout maternellement les deux hortensias bleus dont il était si fier et qui montraient