Page:Ringuet - L’héritage, 1946.djvu/8

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

8
l’héritage

ser à une palanche de bois dur, faite pour supporter les fardeaux. Il avait posé à terre son baluchon.

Sous ses yeux s’était déplié le paysage : devant lui la terre, celle-là, peut-être, qu’il cherchait justement. Maintenant qu’il était arrêté, l’ombre et le vent frais du printemps s’interposaient entre lui et la chaleur nouvelle que la marche lui avait rendue presque pénible.

La terre s’offrait, longue et houleuse. Elle descendait en une chute rapide, esquissait quelques vallons brefs, puis plongeait dans une gorge pour remonter ensuite ; c’étaient alors de longs replis verdoyants dont le dernier était trop haut pour que l’ont pût voir au delà. Il eût fallu se déplacer un peu vers la droite.

En bas, dans la cour de la maison, à la croisée, un coq se mit à chanter à tue-tête le chant de triomphe des amours satisfaites, un chant sonore qui voulait imposer sa joie à tout ce monde, à la terre, au soleil et au jour. Cela remplissait un moment l’espace agreste ; puis cela s’interrompait brusquement comme étonné de n’avoir rien conquis. Car le calme reprenait aussitôt, invaincu, majestueux et définitif ; et le froissement des branches, au souffle qui ne touchait que le sommet des grands pins verticaux, tout près du ciel, semblait n’être qu’un élément de ce silence.

Sur la véranda de la maison parut un instant une femme en caraco ; puis, l’instant d’après, un homme la vint rejoindre. La main sur les yeux, ils regardèrent l’homme dressé sur la butte qu’il remplissait de sa présence inaccoutumée. Puis ils s’effacèrent.

S’étant déplacé un peu, le voyageur aperçut enfin quelque chose de précis : un pont gris chevauchant la gorge. La rivière était sûrement là. Il reprit son sac et descendit. Mais avant d’entrer dans la boutique, il hésita une fois de plus ; puis, avec un haussement