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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/107

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HÉLÈNE ET MICHEL

visage calme et paternel, Michel retrouvait son inquiétude dès que le docteur les avait quittés.

Michel avait un autre souci. Depuis quelque temps, Georgette semblait moins accueillante. Il l’avait trouvée distraite, un soir, que comme tous les jeudis puisque c’était sa blonde et qu’il avait à son égard des intentions sérieuses, il allait passer la soirée avec elle. La semaine précédente il n’avait pu la voir que très peu, ayant eu à rester près de sa mère. Quand il avait revu son amie, elle lui avait paru singulièrement refroidie.

La questionner, il ne l’avait voulu ni osé. Sans doute s’agissait-il d’une saute d’humeur passagère et ce froid serait-il vite passé. Elle s’était laissée embrasser un peu, comme d’habitude, à l’abri de l’écran qui fermait un coin du salon. Mais quand il avait voulu prolonger son baiser, le faire plus tendre, plus amoureux, elle l’avait repoussé d’un geste presque impatient.

— Fais donc attention, Michel, ma tante est là, avait-elle dit à voix basse. Mais il avait semblé à Michel que sa voix sonnait faux.

— Voyons, Georgette, je l’ai entendue monter dans sa chambre tout à l’heure.

— Mais elle peut revenir. Laisse-moi !

— Georgette, rien qu’un autre. Encore un.

Il l’avait saisie par la taille et tâchait de rapprocher du sien le corps souple et plastique de la jeune fille. Ses lèvres cherchaient la nuque, goulûment, maladroitement. Elle le repoussa du coude et de la main.

— Laisse-moi tranquille. D’ailleurs tu ne pourras pas rester longtemps ce soir. Il faut que je me couche de bonne heure : j’ai mal à la tête.

Le ton de sa voix parut à Michel si étrangement glacé qu’il en fut transi. Il sentit sa gorge se serrer et pour la première fois il perçut qu’il l’aimait profondément. Ce qui au début n’avait été qu’un désir charnel à quoi s’ajoutait l’orgueil d’être l’ami en quelque sorte officiel de cette jeune fille jolie, s’était lentement sublimé, bien que, plus que jamais, il ressentît auprès d’elle, à son contact, le même émoi profond. Mais une douceur était passée en lui depuis quelque temps, un flot très doux qui venait battre son cœur de longues vagues mollissantes, une tendresse qui lui était d’autant plus délectable qu’elle ne lui était point naturelle ni coutumière.

Ce soir-là, il sentit que dans le bleu de son ciel intérieur un nuage se levait, lourd et chargé de menaces. Georgette de toute évidence n’était plus la même. Il dut la quitter tôt. Elle était nerveuse et semblait presque chercher querelle.

— À quelle heure reviendrais-je, dimanche soir ? dit-il comme d’habitude en la quittant.