Page:Rivard - Manuel de la parole, traité de prononciation, 1901.djvu/187

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
177
MORCEAUX CHOISIS

s’arrêter : Marche, marche. Et cependant on voit tomber derrière soi tout ce qu’on avait passé ; fracas effroyable, inévitable ruine ! On se console, parce qu’on emporte quelques fleurs cueillies en passant, qu’on voit se faner entre ses mains, du matin au soir, quelques fruits qu’on perd en les goûtant. Enchantement ! toujours entraîné, tu approches du gouffre affreux. Déjà tout commence à s’effacer ; les jardins moins fleuris, les fleurs moins brillantes, les couleurs moins vives, les prairies moins riantes, les eaux moins claires ; tout se ternit, tout s’efface : l’ombre de la mort se présente ; on commence à sentir l’approche du gouffre fatal. Mais il faut aller sur le bord, encore un pas. Déjà l’horreur trouble le sens, la tête tourne, les yeux s’égarent, il faut marcher. On voudrait retourner en arrière ; plus de moyen : tout est tombé, tout est évanoui, tout est échappé.

Je n’ai pas besoin de vous dire que ce chemin, c’est la vie ; que ce gouffre, c’est la mort.

Bossuet.


LES PAUVRES


Combien de pauvres sont oubliés ! combien demeurent sans amours et sans assistance ! Oubli d’autant plus déplorable qu’il est souvent volontaire et par conséquent criminel.

Je m’explique : combien de malheureux réduits aux dernières rigueurs de la pauvreté et que l’on ne soulage pas, parce qu’on ne les connaît pas et qu’on ne veut pas les connaître.

Si l’on savait l’extrémité de leurs besoins, on aurait pour eux, malgré soi, sinon de la charité, au moins de l’humanité.

À la vue de leur misère, on rougirait de ses excès, on aurait honte de ses délicatesses, on se reprocherait ses folles dépenses, et l’on s’en ferait avec raison des crimes.

Mais parce qu’on ignore ce qu’ils souffrent, parce qu’on ne veut pas s’en instruire, parce qu’on craint d’en entendre parler,