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MANUEL DE LA PAROLE

parce qu’on les éloigne de sa présence, on croit en être quitte en les oubliant ; et quelque extrêmes que soient leurs maux, on y devient insensible.

Combien de véritables pauvres, que l’on rebute comme s’ils ne l’étaient pas, sans qu’on se donne et qu’on veuille se donner la peine de discerner s’ils le sont en effet !

Combien de pauvres dont les gémissements sont trop faibles pour venir jusqu’à nous, et dont on ne veut pas s’approcher pour se mettre en devoir de les écouter !

Combien de pauvres abandonnés ! Combien de désolés dans les prisons ! Combien de honteux dans les familles particulières ! Parmi ceux qu’on connaît pour pauvres et dont on ne peut ignorer, ni oublier le douloureux état, combien sont négligés !

S’il n’y avait point de jugement dernier, voilà ce qu’on pourrait appeler le scandale de la Providence.

Bourdaloue.


L’ÂNE


L’âne est de mes bons amis ; j’aime sa société, son commerce me récrée, et il y a dans son affaire je ne sais quoi qui excite ma sympathie et mon sourire. Je n’aurai point à me reprocher en mourant de ne m’être pas, en tout temps, arrêté dans les foires, sur les places publiques, partout où s’est rencontré un âne à regarder.

Je parle ici de l’âne des champs, de cet âne flâneur et laborieux, esclave sans être asservi, sobre et sensuel, dont l’oreille reçoit le bruit dans tous les sens, sans que l’esprit bouge, dont l’œil mire tous les objets sans que l’âme se soucie.

Il lui manque, c’est vrai, de la noblesse ; mais aussi point d’orgueil, point de vanité, nulle envie d’être regardé… Ceci m’a fâché quelques fois ; je m’étonnais désagréablement d’être le seul des deux qui trouvât du charme à regarder l’autre. En y réfléchissant mieux, j’ai reconnu que l’avantage est tout du