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MANUEL DE LA PAROLE

L’homme arrivait avec tout un bagage étrange.
C’était, outre le cierge, un faisceau composé
D’une table pliante et de son pied croisé,
Puis d’un tapis roulé dont s’élimait la frange,
Puis on ne savait quoi, dans un mouchoir usé.

Une fois dans le chœur, on le vit, sans rien dire,
Prendre son vieux tapis et le bien étaler,
Dresser la table, ouvrir le mouchoir, installer
Quelques menus objets ; puis, allumant la cire,
Il se mit à genoux et se prit à prier :

« Madame, je sais bien qu’on vous appelle Reine ;
Je sais que l’on vous nomme Étoile du Matin ;
Mais je sais bien aussi qu’Astre ni Souveraine
Ne m’eussent, comme vous, assisté dans ma peine,
Et je voudrais pouvoir vous le dire en latin.

« Excusez-moi, de plus, n’ayant ni sou ni maille,
Mon cierge, trop petit, me donne de l’ennui ;
Je ne me sens pas quitte ; et je pars aujourd’hui.
Il faut absolument que pour vous je travaille.
Vous avez un enfant ; mettons que c’est pour lui.

« Je ferai de mon mieux. Par malheur, le chômage,
Cruel pour tout le monde, est plus fâcheux pour nous.
Je puis manquer mes tours, et ce serait dommage.
Vous n’en voudrez pas moins accepter mon hommage,
Et je vous en requiers, Madame, à deux genoux. »

L’homme se releva. D’un seul geste rapide,
Il rejeta le froc ouvert dans son ampleur,
Et, comme un papillon hors de sa chrysalide,
Il apparut, pimpant, léger, souple et solide,
Sous ses vieux oripeaux fanés de bateleur !

« Je commence, » fit-il. Et vive, insaisissable,
La muscade courut en de subtils détours ;
Là, sous ce goblet, elle était sur la table ;
On allait l’y trouver, c’était indubitable :
Et qui l’eût parié se fût trompé toujours !