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MANUEL DE LA PAROLE

Chut ! un nuage a voilé le soleil. Fauvettes et pinsons se taisent un moment. N’entendez-vous pas ce bruit frais, ce murmure clair ? Pénétrez sous bois. Gare aux branches ! Et faites attention à ne pas glisser sur le sol spongieux. Regardez. Près de ce tas de pierres verdâtres, des cressons frémissent. Et, plus loin, ne voyez-vous pas ce mince ruban d’argent liquide, qui serpente et court comme une couleuvre effrayée !

Vous y êtes, c’est la source.

Dans quelques jours, cette eau pure et glacée, dont on remplit le creux de sa main et qu’on hume avec la délicieuse sensation qu’on boit de l’innocence, atteindra l’Atlantique et sera mêlée aux ondes lourdes et saumâtres d’un vaste estuaire. Elle glissera contre les bouées qui marquent, de leurs grosses olives peintes en vermillon, les écueils de la rade ; elle clapotera à petits coups sur les flancs encrassés de coquillages des énormes cargo-boats mouillés à l’embouchure du grand fleuve.

Combien ce filet d’eau, qui va faire tant de chemin et se corrompre, hélas ! au cours du voyage, est exquis au départ ! Il offre le symbole même de la candeur. Qui de nous, courant à travers les bois, après avoir étanché sa soif dans une source, n’est pas resté, quelques instants, lié comme par un charme auprès d’elle, et là, — bercé par son babil, admirant son éclat limpide, — n’a pas involontairement rêvé d’enfance et de virginité.

Cependant, tout en descendant la côte, dans sa fuite de reptile sous les herbes, le ruisselet a recueilli d’autres ruisselets, s’est grossi de sources invisibles. Le voici maintenant dans le creux d’un vallon dont il épouse la courbe harmonieuse. Qu’il est faible encore, le petit cours d’eau ! Une planche suffit pour le franchir, et, dans les étés de sécheresse, on ne voit guère, par places dans son fossé, que de la boue et des pierres. Néanmoins, c’est vers lui que vont en secret les eaux souterraines. Il traverse à présent de grasses prairies. Le saule croît sur ses bords, et les vieilles souches, en double ligne, dressent là leurs pâles feuillages. Parfois, une vache des pâturages voisins descend, lourde et maladroite, dans l’eau courante,