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III
INTRODUCTION

Mais les modifications successives, introduites dans le langage, ne sont pas laissées au caprice des individus ; pour être de bon aloi, elles ne doivent pas trop s’écarter des principes qui ont présidé à la formation première de la langue. Ces changements s’opèrent sous l’influence de deux forces opposées : l’une, la force conservatrice, qui veut garder au langage ses formes actuelles ; l’autre, la force révolutionnaire, qui tend sans cesse à le modifier, à l’altérer, à l’engager dans de nouvelles directions. L’action simultanée de ces deux forces doit être bien équilibrée ; la santé de la langue est à ce prix.[1]

Quant à la force révolutionnaire, il est rare qu’il faille l’aiguillonner. Elle est assez vigoureuse, et trouve, d’ailleurs, des alliés naturels dans la paresse et l’inhabileté de nos organes vocaux, dans la tendance qui nous porte à simplifier les formes grammaticales et à les réduire, par analogie, à un type unique, dans le besoin que nous éprouvons de créer des associations nouvelles de sons et d’articulations.

Il n’en est pas ainsi de la force conservatrice. Moins vigoureuse que l’autre, la force conservatrice est trop souvent vaincue dans cette lutte qui est la vie des mots. Si l’on n’y veille avec soin, elle offre aux ambitions de l’esprit nouveau une résistance de plus en plus faible, et la langue devient en peu de temps un jargon, produit d’altérations excessives et d’innovations désordonnées.

D’un autre côté, si la force conservatrice était seule maîtresse de la langue, celle-ci, ne recevant plus de sang nouveau, s’immobiliserait, sécherait sur place, et mourrait bientôt, — noblement, il est vrai, — comme est mort le latin classique, comme serait mort le français peut-être, si le romantisme n’était venu le secouer quoique un peu trop rudement parfois.

C’est donc le rôle de la force révolutionnaire, de faire marcher la langue, de modifier, de créer. C’est la mission de la force conservatrice, de modérer les élans trop impétueux, de résister aux entraînements aveugles, de faire un choix

  1. Voir la Phonétique de A. Darmesteter.