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IV
INTRODUCTION

judicieux parmi les formes nouvelles qui surgissent, tout en laissant le mouvement progressif du langage suivre son cours.

Si donc la vie d’une langue est dans l’action simultanée de ces deux énergies, il y a péril, dès que l’équilibre est rompu et que l’une d’elles exerce seule son influence.

Or, le langage canadien souffre de deux maux à la fois : excès de force conservatrice, excès de force révolutionnaire.

Ainsi, pour ne donner qu’un exemple, nous employons, avec le sens de aussi, le mot itou, relique que la tradition nous a conservée du vieux français (itel, devant une consonne itou). Mais, d’autre part, nous avons des mots comme briquade, tabaconiste, congress, etc., produits évidemment de la force révolutionnaire affranchie de toute contrainte.

Il en est de même pour la prononciation.

La plupart des familles qui, lors de la cession du pays à l’Angleterre, restèrent au Canada, avaient quitté la France vers le milieu du xviie siècle et avaient apporté en Amérique la prononciation en usage à cette époque. Brusquement séparés de la mère patrie, restés de longues années sans aucune relation avec elle, les colons canadiens gardèrent cette prononciation, qui, de génération en génération, s’est transmise jusqu’à nous. Or, au temps de la cession, la prononciation française n’était pas plus fixée qu’elle ne l’est aujourd’hui ; depuis lors, elle a marché, elle a subi des modifications sensibles. Et, restés à peu près au même point, nous parlons encore comme il y a deux siècles.

D’autre part, la nécessité d’accommoder notre langage à des besoins nouveaux, notre contact avec des éléments barbares et étrangers, et des aptitudes physiologiques particulières dues sans doute au climat, ont déterminé dans notre prononciation des altérations notables, dont quelques-unes n’ont de français que l’apparence et ne portent pas le sceau de la tradition.

Inutile de dire que ces altérations phonétiques de provenance indigène doivent être proscrites. Quant aux vieilles prononciations que nous avons conservées, il s’en trouve qui