Page:Rivard - Manuel de la parole, traité de prononciation, 1901.djvu/9

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
V
INTRODUCTION

méritaient en effet de n’être pas oubliées ; malheureusement, l’usage actuel ne les admet plus et veut qu’on les évite aussi. Cependant, nous devrions avoir pour elles, il nous semble, tout en les condamnant, le respect qu’on éprouve pour certaines antiquités nationales, souvenirs d’un passé glorieux ; comme ces ruines anciennes qui racontent l’histoire de nos commencements, notre prononciation d’un autre âge accuse notre origine bien française. Faut-il en apporter des preuves !… Elles abondent. Jarbe (gerbe), monsieure (monsieur), mouchouër (mouchoir), acrère (accroire), hureux (heureux), trompeû (trompeur), pu (plus), cataplame (cataplasme), ajeter (acheter), jeval (cheval), mécredi (mercredi), barbis (brebis), siner (signer), quéqu’un (quelqu’un), cheu nous (chez nous), etc., — ainsi prononçaient au xviie et dans la première partie du xviiie siècle, les Français de France qui se piquaient de bien parler : ainsi prononce encore le peuple de notre province.

Les prononciations vicieuses canadiennes forment donc deux catégories : les unes, trop vieilles ; les autres, trop jeunes ; les premières, respectables souvenirs d’une parleure tombée en désuétude ; les secondes, produits d’une langue qui se développe sans frein.

Ce sont là les fautes que nous avons appelées canadiennes.

Mais il faut reconnaître que, s’il y a des fautes de prononciation canadiennes, il n’existe pas, à proprement parler, de défauts de prononciation canadiens. C’est à dire que le Canadien n’a pas d’accent : il parle franc, il ne sent pas, suivant l’expression de Loysel, le ramage de son pays. Sans doute, les vices ordinaires de la prononciation, véritables maladies de la parole, le zézaiement, le grasseyement, le bredouillement, le bégaiement, etc., se rencontrent aussi chez nous. Mais nous n’avons pas de manière particulière de prononcer, qu’on puisse comparer aux accents qui se divisent la province en France et qui font reconnaître d’abord l’habitant des rives de la Seine et celui qui est né sur les bords de la Garonne, des idiomes picard, normand, français (de l’Île-de-France), et