Page:Rivarol - De l'universalité de la langue française.djvu/56

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livres de tous les hommes ; ils n’ont pas quitté certaines mains ; il a fallu des essais et de la précaution pour n’être pas rebuté de l’écorce & du goût étranger. Accoutumé au crédit immense qu’il a dans les affaires, l’Anglais veut porter cette puissance fictive dans les lettres, & sa littérature en a contracté un caractère d’exagération opposé au bon goût : elle se sent trop de l’isolation du peuple et de l’Ecrivain : c’est avec une ou deux sensations que quelques Anglais ont fait un livre[1]. Le désordre leur a plû, comme si l’ordre leur eût semblé trop près de je ne sais quelle servitude : aussi leurs ouvrages, qui donnent le travail & le fruit, ne donnent pas le charme de la lecture.

Mais le Français ayant reçu des impressions de tous les points de l’Europe, a placé le goût dans les opinions modérées, & ses livres composent la bibliotéque du genre-humain. Comme les Grecs, nous avons eu toujours dans le Temple de la Gloire, un autel pour les Graces, et nos Rivaux les ont trop oubliées. On peut dire par supposition, que si le monde finissoit tout-à-coup, pour faire place à un monde nouveau, ce n’est point un excellent livre Anglais, mais un excellent livre Français

  1. Comme Yong, avec la nuit & le silence.