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LES MENDIANTS DE PARIS

voque : ce n’est pas Rothschild, ce n’est pas Chodruc non plus. On pouvait mieux faire pour la fête de ce soir.

— Ah ! bah, dit un mendiant, on ne devrait jamais charger Jean-Marie d’un menu ; il est trop regardant.

— Voyons, reprend le président, il ne s’agit pas de crier avant de savoir… Qu’est-ce que nous avons ?

Jean-Marie tire un papier de sa poche et lit à haute voix :

— Premièrement, potage gras, croûton, purée, semoule, tapioca… On laisse le bouilli pour la cuisine…

— C’est convenu.

— Après ?

— Nous avons vingt-quatre entrées, gigot braisé, poulets sauce aspic, pigeons au soleil, noix de veau glacée, anguille à la broche, turbot à la portugaise…

— Bien, le turbot à la portugaise… ça se laisse manger…

— filets de brochets aux tomates, perdreaux rouges à la mauglas…

— Passe… passe au rôti !

— Oh ! le rôti, chouette ! nous avons poulardes du Mans, canards de Rouen, faisans piqués, quoique ce ne soit pas la saison… Et puis seize plats d’entremets et autant de dessert.

— Allons, allons, cela, se dessine mieux que je ne croyais… dit le père Corbeau.

— Il y aura encore assez gras.

— On ne mourra pas de faim, dirent quelques-uns des gueux, abondant dans le sens de leur président.

— Silence donc ! cria le vieillard en frappant de son redoutable bâton ; personne n’a le droit de parler maintenant sans ma permission… Il est de fait que si tout est soigné, on ne se plaindra pas trop… À table !

Un vif mouvement s’opère dans l’assemblée ; on se range autour de l’immense table, un monsieur à côté d’une dame.

À peine assis, maître Corbeau prend un air très prononcé de mécontentement.

— Qu’est-ce que ceci ! dit-il en regardant le service de la table : du vin dans des pots de grès ! des couverts d’étain !… Le Trou-à-vin se moque-t-il de nous, par hasard !…

Un murmure d’indignation fait écho aux paroles du président.