— Qu’on jette d’abord ce vin par la fenêtre ! dit-il.
— Non, qu’on en arrose la salle… Cela donnera du frais et abattra la poussière… Jupiter, ça te regarde, prends ces brocs et arrose le carreau partout bien également… Allons, esclave, habilement !
Et tandis que le nègre exécute cet ordre :
— Toi, Jean-Marie, à la cuisine… Lave la tête à ces gens-là et fais apporter d’autres couverts.
On renouvela le service de table ; après quoi le président demanda encore si aucun des membres n’avait d’autres réclamations à faire.
— Non, dit quelqu’un, je crois que nous sommes bien… on nous a mis dans cette salle qui donne sur la petite rue du faubourg et non sur le boulevard ; les contrevents sont fermés, nous pourrons nous en donner à cœur joie sans chatouiller la plus fine oreille de sergent de ville.
— Moi, je suis content aussi, dit un gros bonhomme ; cependant… c’est quelque chose d’embêtant… dans le menu du dîner qu’on vient de nous lire… il n’y a pas du lapin !
— Eh bien ? dit le président.
— Tiens, moi, je l’aime, le lapin… J’en mangerais tous les jours, et encore… Cré nom, une gibelotte !…
— C’est comme il le dit, affirme quelqu’un. Ce Godois, il aurait mangé son père en gibelotte.
— S’il l’avait connu.
— Oui ; mais les ânes de Montmartre ne tiennent pas d’état civil.
— Ah ça ! s’écrie Godois en colère, j’entends pas être vexé, parce que j’aime le lapin… vous autres !
Puis, revenant soudain à l’air le plus dolent, il ajoute :
— J’aurais pourtant bien voulu en manger du lapin…
— Finissons, reprend Corbeau. Personne n’a plus rien à objecter ?… une fois… deux fois… qu’on serve !
À cet éclat de voix retentissant le souper est apporté sur la table.
Il n’est pas besoin de dire que les mets recherchés et précieux, dont le factotum Jean-Marie a donné la nomenclature, n’existent que de nom dans un cabaret tel que le Trou-à-Vin, et que les poissons, les poulets les plus vulgaires y figurent les faisans et les saumons. Cependant le festin, tel qu’il se présente, doit encore sembler aux mendiants digne des dieux.