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LES MENDIANTS DE PARIS

pauvre demeure et qu’on emmenait d’une manière toute énigmatique.

La femme de quarante ans, qui disait se nommer madame Laure, s’était présentée la veille chez madame Jacquart en disant qu’une personne extrêmement riche et charitable, ayant eu connaissance de la situation de la pauvre femme et de la piété exemplaire qui la recommandait ainsi que sa fille à l’intérêt public, voulait faire venir cette dernière chez elle, afin de lui donner des secours qu’elle rapporterait à sa mère.

Ce matin-là, effectivement, madame Laure était venue prendre la jeune fille en voiture pour l’emmener chez ses bienfaiteurs. Elle avait ajouté, il est vrai, en laissant percer un sourire, que l’aumône considérable qu’allait recevoir la petite indigente exciterait vivement sa surprise, et pourrait peut-être changer son sort pour la vie.

Robinette avait pris tout cela au pied de la lettre, et dans sa joie confiante avait, sans faire semblant de rien, noué à sa taille son tablier à grandes poches, afin de rapporter les aumônes de toute sorte qu’on allait lui donner.

Madame Jacquart qui, ainsi qu’on a pu le voir, rêvait un riche établissement pour sa fille, avait pressenti plus qu’on ne disait ; son ambition sans cesse éveillée l’éclairait et lui faisait deviner quelque chose de la vérité. Elle ne s’en était montrée que plus empressée à laisser partir Robinette, et avait reconduit la messagère officieuse avec de profondes révérences.

Cependant la jeune fille, bien qu’occupée à regarder au dehors et à se prélasser sur les coussins de soie, n’interrogeait pas moins de ses regards étonnés et réjouis sa muette et impassible conductrice.

— Ah çà, madame, dit-elle enfin, ce n’est toujours pas une frime ?… hein !

— Mademoiselle, répond la matrone avec un air de déférence extrême, vous ne devez point m’appeler madame, mais tout simplement Laure, qui est mon nom de baptême. Quant à ce que je vous ai annoncé, il n’y a rien que de parfaitement vrai, et d’ici à une demi-heure, vous pourrez vous en assurer par vous-même.

— Mais je ne comprends pas tant de bonheur, moi !… C’est comme si je gagnais à la loterie sans y avoir mis !

— Avant la fin du jour, vous aurez tous les éclaircissements désirables.

— Vous ne voulez rien me dire… C’est peut-être tant