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LES MENDIANTS DE PARIS

puscule, les diacres disposaient le tabernacle et les livres saints, le chœur se garnissait de tapis et de sièges de velours à crépines d’or, placés entre des vases de fleurs. Ces préparatifs étaient ceux d’un riche mariage qui allait immédiatement avoir lieu.

L’encombrement des pauvres commençait sous la colonnade : les haillons se pressaient avec un fraternel échange de coups de coude et de béquilles.

Vers le cintre majestueux du portique, se détachait un groupe de mendiants plus remarquables que les autres. Il y avait là cinq figures choisies pour offrir un contraste parfait, et les traits les plus caractéristiques de la gent mendiante. Ces personnages étaient posés, d’ailleurs, comme un peintre de la nature crue et grossière eût pu le désirer pour un de ses tableaux.

Dans ce groupe, un vieillard, dominant les autres figures de toute la tête, montrait un front sourcilleux surmonté de deux énormes mèches de cheveux gris et poudreux qui retombaient par le bout dans la disposition des cornes de bouc ; une face osseuse, décharnée, couverte de terre, comme si elle eût déjà longtemps habité la tombe, une face au grand nez torse, aux yeux éraillés et sanguinolents, à l’expression brutale et féroce. Ce mendiant semblait chargé de remplacer la figure de Satan, qu’on voyait autrefois parmi les sculptures des portiques d’église. Il était manchot, et tendait au jour le bourrelet rouge de son bras droit privé de main ; Cette fraction expliquait le hideux personnage : c’étaient les instincts cruels privés de force pour les servir, c’était l’homme forcé de demander le pain qu’il aurait voulu arracher par le vol et le meurtre, c’était le diable devenu mendiant.

Tout à côté de lui se détachait, en nuance claire, sur le pan de son manteau, brun, une jeune fille de dix-huit ans à peine. Un mouchoir en marmotte et une robe sans forme ni couleur précises composaient sa tenue de mendiante. Mais les jets brillants de la santé, de la fraîcheur, de la grâce juvénile perçaient cette misérable enveloppe. Si le visage de la belle enfant était quelque peu maculé de poussière, cela n’allait point jusqu’à en obscurcir l’éclat : ses grands yeux noirs étincelaient ; ses joues, d’une gracieuse rondeur, montraient, un vif incarnat ; sa bouche rose souriait avec une gaieté naïve. La vétusté de son vêtement, fripé et collant, décrivait mieux les formes de sa taille mince et potelée. Le bas de sa robe courte, érail-