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les mendiants de la mort

ment Herman, vous le savez bien, Valentine. Ainsi, répondez-moi.

— Je ne vois de réel dans les mérites que vous vous attribuez près de moi que de m’avoir sauvée tout à l’heure de la mort, dit-elle avec un sourire, expression si triste dans ces moments de déchirements et de douleurs éternelles. Maintenant, je répondrai : Vous m’avez ôté le bonheur pour toujours, je ne vous dois aucune grâce de m’avoir conservé la vie…

Herman allait l’interrompre, elle continua avec plus de vivacité et d’un ton absolu :

— Autrefois, lorsque je vous aimais, c’était avec une foi profonde ; jamais confiance plus pure, sérénité plus grande ne rayonna dans une âme. Quand on est jeune, et au premier amour de la vie, il est permis, il est légitime de se tromper ; être heureux par l’amour est notre droit en ce monde ; pourquoi ne penserions-nous pas que le ciel nous l’accorde… Mais, après avoir été tristement désabusée, retomber dans le même aveuglement, accueillir la même illusion par une attache insensée à un bien qui nous fuit, c’est être faible et lâche, c’est abdiquer sa raison, son jugement, pour être heureux un instant de plus dans la vie… Non, non, je ne le veux pas. La force, la lumière de l’esprit sont des rayons divins aussi… divins comme l’amour… et on ne peut les éteindre sans crime.

— Ainsi vous me repoussez ! s’écria Herman exaspéré d’entendre un raisonnement quand son cœur se soulevait avec violence, quand l’exaltation emportait sa pensée.

— J’ai cru devoir me séparer de vous, dit Valentine ; le passé est toujours le même, pourquoi mon sentiment serait-il changé ?

— Et moi aussi, dit Herman, je reprendrai la force, le courage… et cette raison que vous appréciez tant. Je sens en ce moment que la passion la plus violente peut céder devant tant d’indifférence et de froideur. Et si je vous quitte en ce moment, dans la situation où nous sommes, ce sera pour la vie.

— Je le sais.

— Et vous le voulez ?

— Je le veux.

Herman fit quelques pas précipités vers la porte et se retourna.

— Adieu, Valentine, dit-il. Avec cet adieu… vous l’en-