Page:Robert - Les Mendiants de la mort, 1872.djvu/68

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
64
les mendiants de la mort

de celles qui croyaient m’abreuver de voluptés, je n’ai senti mon cœur déborder d’amour et de bonheur comme dans ce moment où je pleure à tes pieds.

Puis il enveloppait la jeune femme de longs regards de passion, et après un moment de silence passé dans cette extase suprême, il répétait encore :

— Valentine, pourquoi veux-tu me condamner sans m’entendre ? Tu ne sais pas si tout ce que j’ai souffert loin de toi ne m’a pas racheté, si à force de tendresse et de regrets je n’ai pas expié mes fautes. Tu penses que j’ai joui lâchement, comme un homme sans souvenir et sans cœur, de la fortune que tu m’avais laissée… Non, je ne l’employais qu’à m’étourdir, à m’égarer ; j’en avais fait un breuvage enivrant dans lequel je voulais oublier mon amour ; un poison où je devais perdre la raison, et tuer ce cœur qui ne faisait que souffrir !… Tu ne me connais pas, tu ne sais pas ce qui s’est passé en moi depuis que nous sommes séparés, et tu me repousses… Tu me refuses même la douceur de t’apercevoir, quand je ne demanderais rien que de te contempler, de loin, pour mourir ensuite sans me plaindre dans l’affreuse solitude !… Oh ! si je ne dois jamais trouver grâce devant toi, si ce moment est le seul qui me soit donné, dors longtemps ! que je puisse au moins t’adorer en paix !… Je t’aime avec ravissement, mais je te crains ! je tremble devant toi !… Dors donc, que je puisse respirer encore cet air qui t’environne, cet air qui fait vivre… que je sois un instant maître de mon bonheur.

Cet amour si vrai, si profond, qui s’exhalait aux pieds de Valentine, pénétrait en elle comme un doux encens. Au milieu du sommeil, ses traits pâles s’animaient de légères nuances, sa bouche avait pris l’empreinte d’un sourire.

Herman observait avec transport cette émotion vague dont n’avait pas conscience celle qui l’éprouvait.

— Oh non ! dit-il palpitant d’espérance, rouvre plutôt les yeux, et parle-moi… je sens dans mon cœur que le tien ne m’est pas fermé… Valentine… je sens que si tu t’éveillais en ce moment, et que tu me visses là, tremblant, malheureux et idolâtre à tes genoux, tu me pardonnerais… avant de rappeler ta mémoire, avant de te souvenir du passé, tu m’aimerais encore !…

Il s’arrêta subitement et retint son haleine… un bruit venait de se faire entendre au-dessous de lui… la porte du pavillon s’ouvrait… on allait sans doute monter.