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Le Vingtième Siècle

on a des femmes à gages, d’une éducation moins soignée ou d’ambition moindre, qui s’en chargent. Quant aux enfants, qui sont un embarras considérable pour des gens si occupés, les écoles, puis les collèges les reçoivent dès l’âge le plus tendre et l’on n’a que le souci des trimestres à payer, ce qui est déjà bien suffisant.

Mme Philox Lorris faisait exception à la règle, elle était restée complètement étrangère aux entreprises de son mari, n’avait jamais paru à ses laboratoires ni à ses bureaux et ne s’était lancée dans aucune entreprise particulière. Elle avait même dédaigné jusqu’à la politique, où pourtant la situation de son mari eût pu lui servir de marchepied initial. Elle ne sortait pas beaucoup ; le bruit courait qu’elle s’occupait de sciences philosophiques et qu’au fond de son cabinet elle méditait les problèmes métaphysiques, attelée à un grand ouvrage de haute philosophie.

On aimait à se représenter ainsi la femme du plus illustre représentant de la science moderne, enfoncée dans ses recherches, au milieu des livres, lancée dans les chemins de l’inconnu, dans la forêt des hypothèses, à travers le lacis embroussaillé des erreurs, à la recherche des hautes vérités morales, comme son mari à la poursuite des grandes lois physiques.

Philox Lorris avait assigné une place à Estelle Lacombe au grand laboratoire, dans la section des recherches, la plus importante ; les ingénieurs de cette section des recherches forment, pour ainsi dire, l’état-major du savant et travaillent sous ses yeux, avec lui ; ce sont pour la plupart des gloires de la science, des savants vieillis dans les laboratoires, dès longtemps célèbres et pâlissant encore avec joie parmi les livres et les instruments, ou des jeunes gens dont Philox Lorris a deviné le génie naissant et que le maître illustre lance, pleins d’ardeur, sur les pistes inexplorées, sur toutes les voies pouvant conduire à la découverte des secrets de la nature.

Que faisait la pauvre Estelle, avec son médiocre bagage de science, au milieu de ces sommités scientifiques ? C’est que les questions à l’ordre du jour dans le laboratoire, les sujets à l’étude sont bien autrement ardus, compliqués et difficiles que les questions et les sujets qui l’ont le plus tracassée au temps où elle piochait ses examens pour le brevet d’ingénieure ! Au cours des discussions qu’elle entendait, lorsqu’elle essayait de monter jusqu’à la compréhension, même superficielle, des problèmes soulevés, il lui semblait que sa tête allait éclater.

Estelle avait d’abord été adjointe à quelques dames attachées à la