Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/371

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d’agentes de change, pour mettre à égalité le parquet masculin et le parquet féminin. De plus, l’agrandissement de la Bourse des dames a été décidé. Une vingtaine de maisons de la rue Vivienne seront expropriées pour faire place à un second temple identiquement pareil au premier. Au lieu de la simple salle en bois et fer accrochée à la colonnade et de l’étroite corbeille, les agentes de change et les spéculatrices auront enfin un palais et une corbeille dignes d’elles !

En attendant, les dames sont forcées de se contenter de leur corbeille provisoire ; la petite salle est pleine à éclater, les agentes de change s’agitent bruyamment ; on crie beaucoup, autant qu’à la Bourse d’à côté, mais sur un ton plus aigu ; les banquières, les commises, les boursicotières et les tripoteuses se bousculent, glapissent des offres et des demandes, crient des ordres ou des cours. C’est un spectacle des plus intéressants ; sans doute les philosophes arriérés des siècles derniers, qui professaient de si ridicules idées sur le rôle social de la femme, auraient reculé d’horreur à cette vue ; mais les penseurs du xxe siècle se félicitent de voir la femme, si longtemps retardataire sur le chemin du progrès, prendre souci maintenant des choses sérieuses et pratiques.

Chacun de ces types de financières et de spéculatrices vaudrait un croquis. Tous les mondes sont représentés à la Bourse des dames ; voici la femme du monde, admirablement moulée dans un costume du grand faiseur, le crayon d’or à l’oreille et le carnet coquettement relié à la main, qui spécule en grand pour arriver à mettre l’équilibre dans un budget forcément surchargé : la vie est si chère et l’élégance si coûteuse ! Voici l’agente de change, généralement d’un certain âge, à tenue correcte et froide ; la grosse bourgeoise retirée des affaires, qui spécule par goût ; la femme politique, toujours à la recherche d’une affaire nouvelle à lancer, d’une société à fonder ; la banquière, importante et sèche, donnant des ordres d’une voix brève ; la petite coulissière qui tripote sur la rente ou les actions des tubes, et enfin, en passant par un nombre infini de types secondaires, la boursicotière à cabas, descendante de celles qui, de concert avec les femmes du monde, fondèrent au siècle dernier la Bourse des dames.

Au milieu de toutes ces dames, se faufilent des commis masculins, apportant des communications de la corbeille d’à côté ou des coulissiers écumeurs d’affaires qui croient trouver ici un champ meilleur pour leurs opérations.