Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/401

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pavé de Londres, prenez garde ! Si vous ne possédez de puissantes qualités cérébrales, la souplesse du tigre, la ruse du Peau-Rouge, l’astuce du serpent, lasciate ogni speranza !

Lorsqu’on 1910 se produisit le grand détraquement de l’Amérique du Nord, trois États se formèrent sur le continent nord-américain, une république chinoise avec San-Francisco ou New-Nanking pour capitale, un empire allemand, capitale New-Berlin (ex-York) ou Obustadt, et une république mormonne étroitement serrée entre ses deux puissants voisins, menacée du côté de la ville sainte de Salt-Lake-City, par le flot envahissant des Chinois et poussée de l’autre côté par les Germains d’Amérique. La république mormonne vit clairement que sa destinée était de servir un jour de champ de bataille pour le choc inévitable des deux races chinoise et allemande et d’être étranglée par le vainqueur, qu’il fût le féroce Sou-tchoupang, président de la république jaune ou le vieux Bismark III, le troisième chancelier de la dynastie des grands ministres allemands.

Les regards des mormons se portèrent vers le berceau de leur race, vers la vieille Angleterre. Là devait être le refuge au jour des malheurs. Justement, à la suite de longues difficultés, le gouvernement venait d’émigrer à Calcutta, laissant le champ à peu près libre. Aussitôt des légions de prédicateurs mormons envahirent le sol d’Albion, prêchant dans les rues, ouvrant des conférences, des écoles, bâtissant des temples, fondant des journaux et distribuant des bibles selon Hiram Smith et Brigham Young.

En moins de dix ans, la mormonisation de l’Angleterre fut complètement opérée. Le gouvernement lointain de Calcutta lutta mollement d’abord, puis dut laisser faire. Un beau jour les mormons d’Angleterre arborèrent le pavillon étoilé de Salt-Lake-City et chassèrent le gouverneur général, vice-roi de la Grande-Bretagne pour S. M. l’empereur des Indes et tout lien fut brisé entre les deux fragments de l’empire britannique.

C’est ainsi que la vieille et pudique Angleterre, patrie du cant et du shocking, terre des misses rougissantes et des ladies pudibondes, devint le pays le plus shocking du globe, le plus effarouchant au point de vue de la morale continentale et le plus dangereux pour les célibataires sans expérience qui se risquaient sur son sol semé de traquenards.

À Paris on avait beau ne parler de la Nouvelle-Angleterre qu’avec des sourires et faire les plaisanteries les plus réjouissantes sur ces braves Anglais que l’on rencontrait dans la saison des voyages, flanqués de leur demi-douzaine d’épouses, le danger n’en existait pas moins.