Page:Rocca de Vergalo - La Poëtique nouvelle, 1880.djvu/92

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Tout à coup s’ouvrent des échappées toutes neuves, dans la musique d’une de vos stances maniée par vous avec une ardeur étrangère ou quelque chose de plus languissant que chez nous. C’est fort exquis, d’un goût sans cesse nouveau. Le seul petit reproche que je me permettrai de vous adresser, c’est d’avoir quelquefois poussé plus loin qu’on n’ose le faire ici-même certaines modes récentes de lire les vers qui tendent à supprimer l’hémistiche placé sur un mot rapide ou de son muet. Vous vous devez d’être plus sévère qu’aucun de nous sur ce point !

Mais combien je devrais d’abord admirer le grand souffle de passion noble qui fait se lever d’elle-même plus d’une page, proclamant comme avec une voix personnelle plusieurs des beaux vers qu’elle contient ! Cela, à côté de délicatesses tout-â-fait féminines !

N’êtes-vous pas, du reste, homme écartant de lui toutes les angoisses dont vous sanglotez, une mère pour ce pauvre cher Enfant, votre fils, invoqué par vos plus beaux poëmes ? Je vous souhaite du fond de l’âme de rentrer dans votre patrie, rapportant de l’exil, au lieu de la mort et du désespoir, l’œuvre fière qui témoigne d’un avenir nouveau. Toutefois, ce vœu implique le chagrin de vous perdre alors que vous deveniez l’un de nous. Vos deux mains ; merci !

Stéphane Mallarmé.