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LES FANTÔMES BLANCS

plaçant la main de sa sœur dans celle du jeune officier, aimez-vous et soyez heureux… La voix lui manqua, ses yeux se fermèrent, on crut que le dernier instant était arrivé. Le prêtre, qui n’avait pas quitté la chambre, s’approcha du lit. Paul ouvrit les yeux et sourit au prêtre.

— Bénissez ces enfants, dit-il en montrant son ami et sa sœur qui pleuraient, et priez, mon père… c’est la fin… Adieu…

Le prêtre commença les dernières prières ; elles n’étaient pas terminées que Paul rendait le dernier soupir. Harry ferma pieusement les yeux de son ami, déposa un baiser sur son front encore humide de sueurs de l’agonie ; puis il se tourna vers Marguerite qui, pâle et immobile comme une statue de marbre, semblait figée dans sa douleur.

— Il faut retourner à Québec, dit-il. Venez, ma bien-aimée, mon service me réclame, et Odette doit s’inquiéter.

Marguerite avait tressailli au nom de sa sœur ; elle leva sur le jeune homme un regard d’où la pensée paraissait absente. Machinalement, elle marcha vers le lit, et posant ses lèvres sur le front du mort, elle murmura : Adieu.

Harry la soutint jusqu’à la voiture. Philippe les avait suivis.

— Georges est beaucoup plus mal, dit-il, une forte fièvre s’est déclarée, accompagnée de délire, je ne puis le quitter. Reviendrez-vous ici, ce soir ?

— Oui, si mon service le permet. Entendez-vous avec le prêtre pour les funérailles de notre pauvre Paul. Je désire qu’il soit enterré à côté de son père. J’ai donné des ordres à la fermière de pourvoir à tous vos besoins, vous êtes ici chez mon oncle Jordan. Soyez sans inquiétude, je suis l’aide-de-camp du général Murray, et j’obtiendrai sa protection pour vous. Gardez Bob avec vous, si vous croyez qu’il puisse vous être utile.

— Merci, oh ! merci, dit de Seilhac en serrant les mains du jeune officier. Merci, et au revoir.

Harry monta dans la voiture à côté de Marguerite, qui ne semblait pas avoir la conscience exacte de ce qui se passait auprès d’elle. La douleur de la pauvre fille était effrayante : pas une larme ne s’échappait de ses yeux qui brillaient d’un éclat fébrile ; un tremblement convulsif agitait tout son être, et les sanglots s’étouffaient dans sa gorge.

— Pensez à Odette, ma chérie, que deviendra-t-elle si vous vous abandonnez ainsi ? Pleurez, ma chère petite fiancée, mais au nom du ciel, parlez-moi !

— Odette ! s’écria Marguerite, ah ! mon Dieu, je l’avais oubliée ! Pauvre petite ! Et les larmes se firent jour, et Marguerite pleura longtemps à côté du jeune homme presque aussi désolé qu’elle, qui cherchait en vain à la consoler.

Enfin, la nature énergique de la jeune fille triompha de cet accablement ; elle se redressa.

— C’est fini, dit-elle. Merci, Harry, de m’avoir rappelé au devoir. Je vais tâcher d’être forte. Comment va-t-elle supporter ce coup terrible, ma pauvre mignonne, elle aimait tant celui que nous venons de perdre.

— Dieu la soutiendra, et vous lui restez.

— Je le sais, mais pourvu qu’elle n’apprenne pas la triste nouvelle en mon absence : elle en mourrait.

Harry serra la main de sa fiancée sans répondre. Lui aussi tremblait pour cette enfant, qu’il nommait sa petite sœur. Et pourtant, il fallait lui apprendre l’horrible vérité. Quelle douleur pour Marguerite !

Les premières lueurs de l’aube apparaissaient à l’horizon lorsque la voiture s’arrêta devant la maison de Mme Merville.

Harry aida Marguerite à mettre pied à terre et la remit aux mains de Mme Bernier, accourue pour les recevoir. La jeune fille, trop émue pour pouvoir parler, serra la main de son fiancé et entra dans la maison.


CHAPITRE X
PAUVRE ODETTE !


Malgré l’heure matinale, tout le monde était sur pied dans la maison. Marguerite, surprise de ce mouvement inaccoutumé, ouvrit la porte de l’escalier qui donnait accès au second étage ; Mme Bernier, qui l’avait suivie, l’arrêta par le bras.

— Reposez-vous un peu avant de monter, ma chère enfant, vous avez peine à vous tenir debout.

— Non, je veux voir Odette. Ah ! ma bonne amie, que nous sommes malheureux ! Mais que signifie toutes ces allées et venues à une heure si matinale ?

— Odette s’est trouvée malade tout à coup, mais elle est mieux maintenant, elle repose, répondit Mme Bernier avec embarras.

— Odette ! mon Dieu, il faut qu’elle ait appris la mort de Paul ! Et s’arrachant aux mains qui voulaient la retenir, elle monta l’escalier en courant, et entra dans sa chambre.

Odette paraissait dormir, mais sur son visage pâle se lisait une telle expression d’épouvante que Marguerite en fut frappée.

On eut dit que le sommeil l’avait surprise à la suite de quelque horrible vision.

Mme Merville était là avec deux hommes, dont l’un était le docteur Renaud, médecin ordinaire de la famille. Marguerite courut à lui.

— Ma sœur était bien portante lorsque je l’ai laissée, cette nuit, dit-elle. Que signifie cette maladie subite ?

La voix de la jeune fille était brève et trahissait une sourde irritation. Le bon docteur lui prit la main.

— Calmez-vous, chère petite, dit-il, j’espère que ce ne sera rien ; Mme Bernier va rester près de vous, elle sait ce qu’il y a à faire. Je reviendrai dans une heure. Courage, pauvre éprouvée ! Ne la quittez pas avant mon retour, dit-il à Mme Bernier. Et après un salut assez froid à Mme Merville, il sortit de la chambre.

Alors, Ellen se rapprocha de Marguerite.

— L’accès est passé, dit-elle, et vous avez tort de vous alarmer, ma chère. Mais je crois que vous n’avez pas remarqué la présence du chevalier, ajouta Ellen, en désignant Laverdie qui s’avançait la main tendue. Il désire vous présenter ses sympathies et vous offrir ses services. N’aurez-vous pas une bonne parole pour lui ?