Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/51

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à collectionner aussi des mots). Littérature de luxe, fardée et maquillée, pourrait-on dire, dont le style est bien le visage de la vie moderne, ajoutant du rouge, du noir, du bleu, des poudres et toute une chimie de couleurs pour exaspérer son charme de décadence, sa pâleur de nerveuse qui exigea trop de la vie et d’elle-même.

Ah ! qu’il y a loin de la santé rose et calme des littératures classiques ! Mais est-ce que la littérature d’une civilisation avancée ne doit pas avoir, comme celle-ci, sa beauté de nuances et d’artifices, ce qu’on pourrait appeler son charme de maladie, avec un rose fiévreux aux pommettes, qui a le ton du rose des couchants ?

Qui prétendra la forêt plus belle au printemps, quand toutes les feuilles sont d’un vert unifié jet, partant, monotone ? Or, la langue est une forêt, disait déjà Horace. Notre littérature, aujourd’hui, touche à son automne ; et n’en est-elle pas autrement somptueuse, avec ses millions de feuilles multicolores, qui sont du bronze, du sang, de la chair d’enfant, de la lie, de l’or, du fard, — palette prodigieuse avec laquelle il nous faut exprimer la fin de siècle où nous vivons.

C’est ce qu’on fait les Goncourt. Ils ont écrit — comme on peint : — à petites touches menues, accumulées ; les mots se superposent, les épithètes se surajoutent, pour produire le ton.