Page:Rodenbach - La Mer élégante, 1881.djvu/14

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L’épigraphe de votre œuvre, mon cher poète, m’a rappelé la phrase que voici : « Beaucoup de choses véritables sont souverainement ennuyeuses ; aussi est-ce la moitié du talent que de choisir dans le vrai ce qui peut devenir poétique. »


Étant signées de Balzac, ces trois lignes ont leur prix.


Le poète doit dire encore : Beaucoup de choses véritables sont souverainement laides ou répugnantes ; il faut choisir dans le vrai, et non pas en copier des fragments au hasard…, choisir les détails parmi tous ceux qu’offre la nature, et procéder comme elle en composant l’ensemble avec harmonie.


Le plaisir qu’on goûte aux choses de l’art vient d’une ordonnance, d’une harmonie dont la nature offre l’exemple souverain dans son ensemble, mais dont elle ne rassemble point un modèle dans chaque fragment d’elle-même qu’il nous plait d’isoler pour le considérer, ou que la faiblesse de nos yeux nous force à isoler pour le voir.


Le cerveau, le génie sont là précisément pour suppléer aux faiblesses de notre vision, et pour donner aux œuvres fragmentaires la souveraine ordonnance des ensembles de la nature. Il faut composer.


Et il faut choisir — car la raison d’être de l’art