Page:Rodenbach - La Mer élégante, 1881.djvu/15

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disparaît, s’il n’est plus que l’ombre — nécessairement imparfaite et infidèle — de la vie. En ce cas, la vie suffit ! Si l’art au contraire est un autre monde, moins vaste, plus grand, il garde sa raison d’exister ; il répond, d’une façon positive, à cette soif de quelque chose de supérieur que le positivisme lui-même, sans la satisfaire, constate du moins franchement.


Les dieux s’en sont allés. Qu’étaient-ce que les dieux ? Les figures de ce que l’homme voudrait voir par-delà le réel. C’est pourquoi la foi, les religions ont été des sources d’art. Les religions vaincues, avec quoi l’humanité va-t-elle nourrir, apaiser un peu le désir infini qu’elle porte en elle ? avec le récit, avec le spectacle de ses propres misères, de ses propres dégoûts, de ses faiblesses, de ses hontes ? non ! les artistes vont l’enchanter, la consoler sans fin en réalisant pour elle un monde idéal toujours renouvelé. Par là, et comme en réponse au savant qui a dit : « l’art deviendra inutile, » ils éterniseront leur droit d’exister, à côté des savants dont la voie est tout autre.


Le savant analyse la nature, la défait, non pour qu’on en jouisse, mais pour qu’on la connaisse ; le savant est l’adversaire glorieux de la nature ; l’artiste est son ami, procède comme elle, crée des formes, cache à l’intérieur les mécanismes que