Page:Rodenbach - La Mer élégante, 1881.djvu/16

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la critique se donnera la besogne de découvrir encore ; la science ouvre les cadavres, fouille la chair dans ses secrets même répugnants ; la science étudie les êtres vivants, l’art en fait.


Un savant ne crée pas une œuvre ; il découvre un peu de ce qui est ; il allonge d’un anneau la chaîne des preuves, cela en vue d’un résultat idéal mais lointain ; il collabore à une œuvre commune, au grand œuvre, et pour cela constate, fouille, dissèque, catalogue, enregistre, collectionne les documents, nomme tout, dit tout, et désenchante, avec le seul espoir d’arriver à la vérité qui, de son propre aveu, est peut-être triste.


Notez bien que tout en cheminant vers cette vérité qu’il veut dévoiler à nos yeux, le savant jusqu’ici s’est efforcé de soulager la souffrance humaine, d’employer contre la douleur ses découvertes intermédiaires, et même de trouver par avance la consolation au mot fatal qu’il cherche et qu’il pressent.


Une philosophie est née pourtant et déjà se propage qui ne veut pas être consolée. On se doute qu’elle est allemande, le pessimisme ! une trouvaille ! Eh bien, ce que démontre le pessimisme, il y a des artistes qui s’efforcent de le mettre en œuvre : la vie mauvaise. — Mauvaise ? pis encore ! une angoisse dans un cloaque ! — Ces artistes peuvent nier la