Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/158

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en une détente d’armistice, en une vacuité de dimanche. Le charme de Godelieve opérait. Elle allait, de l’un à l’autre, semblait-il, porter des baumes, les guérir, les réconcilier, comme une Sœur de charité entre deux malades.

Avait-elle soupçonné le drame muet du ménage, qu’elle cherchait à éclaircir, à dénouer vers une paix miséricordieuse ? Ou bien n’était-elle qu’elle-même, en exhalant là sa blanche bonté ?

Une aube recommença, en tout cas, dans le foyer de Joris. Celui-ci surtout jouissait de l’imprévue quiétude. Tout paraissait changé. Il se semblait être ailleurs. C’était comme s’il revenait d’un fâcheux voyage et rentrait dans sa maison au printemps. Une indulgence naissait en lui, un amour de la vie et des hommes. Il sortait davantage, n’allait plus, comme autrefois, vers les quais de deuil, les ecclésiastiques quartiers. Il ne fuyait plus les passants, devenu plus sociable, intéressé aux hasards de la rue. Il ne se reconnaissait plus lui-même. Possédait-il des yeux neufs ? Naguère il avait des yeux emplis de choses fanées. C’est la vie tout entière qui s’était fanée dans ses yeux. Et cela à cause de Barbe, cette Barbe colérique et dure, qui l’avait déçu, malmené, désenchanté de tout. La femme est la vitre à travers laquelle on voit la vie.

Voici qu’une nouvelle femme s’interposait. Émoi d’un homme encore jeune, au foyer de qui une femme est entrée !