Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/177

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Joris se sentait une plénitude. Il ne désirait plus rien, n’ambitionnait plus rien.

Ses travaux languirent. Il négligea de terminer ceux qui étaient en train. Dans son cabinet de travail, les dossiers, les compas, gisaient épars. Et ses plans, ses épures, demeuraient inachevés sur le papier comme des bâtisses à mi-chemin dans l’air. Il ne travaillait plus, n’acceptait pas de nouvelles commandes. Ses restaurations ne l’intéressaient plus. Toutes ces vieilles maisons, ces façades âgées à rajeunir, l’ennuyèrent. C’étaient de maussades aïeules, avec leurs lézardes comme des rides de vieillesse, leurs antiques vitres glauques, tristes comme des yeux qui ont vu mourir. Il ne voulut plus vivre avec le passé. À fréquenter les choses vieilles on se fait le cœur vieux. Lui voulait être jeune, jouir du présent. Et le visage de Godelieve seul l’occupa.

Il s’isola avec ce visage, flâna par la ville, monta dans la tour, se mêla aux passants, désœuvré et heureux. Il n’était plus amer, ne cherchait plus la solitude, aurait voulu avoir des amis, voir des fêtes.

Parfois il allait à la Société de Saint-Sébastien. C’était son devoir de Chef-Homme et il l’avait longtemps négligé. Il fréquenta les tireurs, apprécia leur adresse quand, armés de leurs grands arcs, ils visaient les cibles ou les oiseaux emplumés du grand mât, si minuscules dans le recul et qu’il fallait décrocher d’une flèche sûre. Il se plut dans cet antique et pittoresque local à la tourelle de maçonnerie,