Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/240

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léra jusqu’à la démence, saisit, sur le bahut, un vase de vieux delft qu’elle jeta violemment à la tête de Joris. Celui-ci para le coup, mais le vase bleu alla se briser contre la glace qui, d’un trait, se fendit.

Cependant la faïence, en retombant sur la cheminée de marbre, se morcela tout à fait, fit un bruit strident et prolongé, qui affola Barbe davantage. À ce moment, elle s’était vue dans le miroir, la figure comme coupée en deux par la balafre qui s’allongeait d’un bout à l’autre.

Il lui sembla alors que sa tête aussi se fendait et, tout égarée, elle empoigna d’autres objets et les lança encore après les coupables qui se tenaient là, devant elle, effarés et blêmes, cherchant à l’arrêter, à s’abriter, et ne pouvant pas fuir, car elle défendait la porte, hagarde, la bave aux lèvres, enragée, rendue folle par sa douleur, son orgueil, par la blessure de la glace qu’elle croyait sentir sur son visage — élargie, et plus affreuse de ne pas saigner ! — par le vacarme de tout ce qu’elle jetait à la fois contre les murs et les vitres, cassant des cristaux, des vases, des flambeaux, les faisant voler par la chambre et retomber en miettes, prise d’on ne sait quelle rage de destruction et quelle frénésie de tout anéantir autour d’elle, puisque dans son cœur il n’y avait plus aussi que des ruines !

Et quand ce grand carnage fut achevé, honteuse et lasse, elle poussa un long cri et partit, en sanglotant, dans les corridors.