Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/262

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Farazyn se rassit, infatué et souriant. Quelques membres de la ligue, intéressés dans la combinaison financière de l’affaire, applaudirent. Les assistants restaient somnolents ; leurs visages continuaient à être des visages de portraits. On aurait dit qu’ils regardaient les siècles. Machinalement, ils expiraient de leurs bouches, si peu dérangées, de lentes fumées dans l’air atone. Ascensions éparses ! Chacun collaborait à la trame grise. On ne savait à quoi ils pensaient ni s’ils pensaient à quelque chose. La fumée tissait son voile de plus en plus opaque entre eux et les orateurs.

Aussi, après le rapport de Farazyn, le président parut disposé à lever la séance. Néanmoins, il s’enquit de savoir si quelqu’un désirait présenter quelque observation. Alors Borluut se leva, demanda la parole. Certes, il ne se faisait guère d’illusion sur la vanité de son intervention dans un pareil milieu, et de cette parade qu’il avait imaginée, à l’avance, une bataille. Mais à cause de Farazyn, qui l’épiait, et puisqu’il avait fait tant que de venir, il voulut aller jusqu’au bout.

Il tira le texte de sa harangue, écrite à l’avance, et commença à lire, tremblant un peu, mais ferme d’une conviction qu’on sentait vaillante et profonde. Il mit en doute d’abord les résultats de l’entreprise. Il ne suffit pas de creuser un canal de communication, comme on veut le faire, de relier Bruges artificiellement avec la mer du Nord. En supposant que