Page:Rodenbach - Les Tristesses, 1879.djvu/108

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Le père, le maçon, qui prenait un peu d’âge,
L’hiver, fit un faux pas sur son échafaudage
Et tomba sur le sol… On le crut mort… Pourtant
On vit qu’il respirait encor en l’emportant,
Et, comme on s’ouvre vite à l’espoir qui rassure,
On crut qu’il survivrait peut-être à sa blessure !…

Il souffrit très longtemps, mais guérit à la fin :
C’était l’hiver ; le froid venait avec la faim ;
N’ayant plus son travail pour payer la dépense,
La misère arrivait plus vite qu’on ne pense.
Le médecin coûtait ; le pain se vendait cher,
Et, noir, les pleurs encor le rendaient plus amer.
Jadis on avait fait quelques économies.
Plus rien !… La mère allait emprunter aux amies
L’argent qu’il lui fallait pour payer le loyer ;
Ne mangeait plus, passait la nuit à travailler,
Raccommodant du linge ou faisant des dentelles
Près du malade, en proie à des frayeurs mortelles ;
Mais voyant son mari sourire le matin,
Avec les yeux plus clairs et plus rose le teint,
La femme se trouvait moins souffrante et moins lasse
En embrassant l’enfant qui partait pour la classe.