Page:Rodenbach - Les Tristesses, 1879.djvu/110

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Et l’ivrogne rentrait ; et quand l’enfant chétif
Qui n’avait pas mangé, venait d’un ton plaintif
Lui demander pourquoi s’en aller dés l’aurore,
S’il ne les aimait plus, eux, qui l’aimaient encore,
Le maçon se fâchait, lui tirait les cheveux,
Battait sa femme avec ses larges poings nerveux :
« Si ça me plaît d’aller trouver les camarades ! —
« Hurlait-il. — Pas de pleurs surtout, pas de tirades !…
« Travaillez ! Moi, m’user pour vous ? Ah ! plus souvent !
« Que ce faquin d’enfant, qui joue au grand savant,
« Laisse là son école et qu’il aille à l’usine.
« C’est compris ?… »

                               Et tandis qu’au fond de la cuisine
Petit-Pierre tremblait d’un frisson glacial,
Le maçon s’endormait d’un sommeil bestial.


III

Il fallut obéir, aller à la fabrique,
A la fabrique noire, empestée et lubrique,
Où l’âme se flétrit aussi bien que le corps
Parmi les propos vils et les sombres accords
Que tient la multitude et que rend la machine.