Page:Rodenbach - Les Vies encloses, 1896.djvu/182

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Plus formel qu’une lèvre ou des attouchements…
Sensation physique et qui s’appuie. Ivresse
De la chair se pâmant sous ce baiser de l’œil !

L’œil voyage. Il franchit le temps et la distance ;
Même les morts envoient vers nous leur œil en deuil
Qui, des lieux d’autrefois conservant l’accointance,
Revient un peu dans nos chambres, comme au parloir,
Et pleure avec la pluie aux vitres dans le soir !
L’œil des absents aussi, que le vieux miroir garde,
Émerge, se déclôt comme d’un bassin nu,
Éclat d’astres lointains jusqu’ici parvenu…
C’est avec ces yeux-là que l’ombre nous regarde !

Que d’autres yeux qui sont insistants ou distraits :
L’œil de l’enfant que nous fûmes ; l’œil des portraits ;
L’œil en rosace d’une église de village ;
L’œil aveugle des puits vitrifié de gel ;
L’œil de la lune ; l’œil des choses sans visage ;
L’œil des passions ; l’œil du remords ; l’œil d’Abel
Dont les pleurs de Caïn lotionnent la plaie ;