Page:Rodenbach - Les Vies encloses, 1896.djvu/73

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J’écoute ; la musique image l’horizon :
Chocs ; titillations ; froides gouttes de son
Qui se figent en stalactites dans leur chute ;
Grains envolés d’un vieux rosaire de couvent ;
Musique en rêve ! Et comme elle se répercute !
Elle cuivre l’espace ; elle sale le vent ;
Puis elle est défaillante et devient déjà nulle…
Presque à ras du silence elle va s’assoupir ;
Dans ma fenêtre, c’est comme un dernier soupir
Et le tulle inquiet des rideaux en ondule…
Ô soir ! cette musique en fuite me fait mal !
Car n’est-ce pas mon âme extériorisée,
Et la plainte sans nom que je n’ai pas osée,
Et mon chagrin qui voudrait être lacrymal,
Dans cet accordéon plein de mélancolie
Qui comme un éventail en larmes se déplie.

Ce triste son lointain jusqu’à moi propagé
S’ajoute dans le soir à la peine que j’ai,
Si bien que c’est, en lui, moi-même que j’écoute,
Ô mon destin jumeau, truchement désolé !