Page:Rodenbach - Les Vies encloses, 1896.djvu/98

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Que de signes encore aux mains des vieux portraits :
Un pli, comme d’avoir trop feuilleté la Bible ;
Des bagues prolongeant sur les doigts leurs ors frais
Où quelque opale ou quelque améthyste, sensible
Comme un œil, éternise un ancien amour mort ;
Ou bien encore un sceptre, une rose tenue,
En un geste fixé d’orgueil ou de remords ;
Ou bien la main sans but qui s’offre toute nue
Mais dont l’inflexion raconte le destin :
À quels fuseaux de brume elle s’est occupée ;
Pour qui, pour quelle cause, elle a tenu l’épée ;
Si ce fut une chevelure ou du butin
Qu’elle aima manier au lointain des années.
Mains probantes, encor qu’elles se soient fanées,
Mains qui conservent des reflets comme un miroir,
Mains des anciens portraits où tout peut se revoir,
Dont les lignes sont des indices et des preuves
Recomposant l’homme ou la femme du portrait,
Comme un royaume, mort, encor se connaîtrait
Par le cours survécu des ruisseaux et des fleuves.