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Page:Roger de Beauvoir - Le Chevalier de Saint-Georges, v3, 1840.djvu/166

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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES

— Peste ! dit de Vannes, restez muet tant qu’il vous plaira, mon cher ; je renonce à vous rendre la parole.

Au bruit éclatant que produisit la détonation, Agathe s’était réveillée… Elle ouvrit d’abord ses beaux yeux dans une muette stupeur, puis jeta un cri en se voyant dans cette étrange caverne… Sa première pensée fut d’y chercher Glaiseau ; elle ne le trouva pas… Elle ne vit que des figures enluminées par l’orgie, des femmes incompréhensibles pour elle… Ces gentilshommes si étrangement débraillés, alourdis par le vin et la vapeur de la table, roulaient autour d’eux ce regard terne où pétille encore le feu de l’ivresse et de la luxure ; ces femmes, qui s’étaient levées hardiment, commençaient à chanter entre elles des airs d’opéra que l’orchestre accompagnait. Ces syrènes inconnues à la jeune fille, unies entre elles pour la perdre et la séduire, l’examinaient avec des yeux dont elle eut peur. Par un mouvement instinctif, elle choisit alors la seule figure qui ne la fit point rougir et baisser les yeux, ce fut le masque.

— Défendez-moi ! cria-t-elle en se plaçant derrière l’inconnu.

Il lui tendit la main ; elle lui donna la sienne, et sentit qu’il la pressait avec émotion.

— Mademoiselle, on ne vous veut aucun mal, reprit le duc, que le choix de ce protecteur blessait au vif ; nous savons quels liens vous unissent à monsieur. Croyez que s’il était venu plus tôt…

— Mon Dieu ! s’écria-t-elle en passant sa main glacée sur son front, où suis-je ? où m’a-t-on con-