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LE FOUET.

les principaux acteurs de ce terrible souper ; elle les avait entendu nommer par leur nom ; elle avait glissé auprès d’eux comme un fantôme. Ce n’était pas à eux que son beau regard, doux comme une prière, s’adressait, c’était à son libérateur adoré, au chevalier de Saint-Georges !

Sa froideur pour Maurice n’était que trop invincible ; la tristesse du jeune marquis l’avait émue, et l’intervention de sa mère l’avait décidée ; mais elle ne lui donnait elle-même sa main que pour s’arracher du cœur un amour qu’elle ne pouvait y voir germer sans pâlir : Agathe de La Haye aimait Saint-Georges !

Ce rôle de libérateur que le chevalier avait joué était, nous l’avons dit, le rôle le plus merveilleusement adapté au caractère de cette jeune personne ; il avait fait sur elle une impression décisive.

Que de fois, depuis ce jour, n’avait-elle pas dans ses rêves tendu les mains vers ce noir visage ; que de fois n’avait-elle pas cru le voir se pencher vers elle comme un bienfaisant génie ! On avait parlé si souvent devant Agathe des talens du chevalier qu’elle brûlait de le voir, de le juger, de l’entendre ! Heureuse de l’avoir enfin aperçu, elle ne craignit pas d’échanger avec lui en cet instant de longs et tristes regards ; leur suavité mélancolique toucha Saint-Georges, et bientôt, à l’aide de ce colloque muet, il s’établit entre eux un échange hardi, passionné, une sorte de combat… Le chevalier redevint ce qu’il était, c’est-à-dire un aventureux génie, un dangereux, un vainqueur ; Agathe, une faible femme résiliant sa force et son amour entre ses mains.