Aller au contenu

Page:Roger de Beauvoir - Le Chevalier de Saint-Georges V1, 1840.djvu/241

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
33
TIO-BLAS.

venez de brûler les miennes, c’est bien ; moi, je garde mes morts, je les relève après le combat ; je ne les brûle pas comme vous, mais j’en prends autant de soin qu’un médecin d’Égypte de sa momie. Oui, je tiens à vos lettres, madame la marquise, car des lettres parlent, ces cendres froides ont une voix. Il arrive un jour où les paroles qui couraient jadis douces et tendres sous la plume s’éveillent et bourdonnent contre l’ingrate comme autant de guêpes empoisonnées. Oh ! non, non, jamais je ne vous rendrai vos lettres !

« Disant ainsi, je froissais encore avec plus de fureur entre mes doigts votre odieux portefeuille ; si la flamme ne se fût pas éteinte depuis longtemps dans votre foyer, je l’eusse jeté au feu. J’y portai la main pour déchirer les billets, la vôtre m’en empêcha… Je reparlai d’éclat, de vengeance ; j’étais hors de moi, ce mot de départ fouettait mon sang.

« — Non, je resterai, je ne vous quitterai pas, repris-je avec une sorte de frénésie ; qu’ai-je besoin de partir ? Ce n’était que pour vous que je voulais accroître ma fortune ; j’étais un chercheur de pierreries, un lingot d’or ; vous m’avez sous la main, gardez-moi, vous ai-je fait défaut après sept ans ? J’attendrai auprès de vous le retour de votre mari ; mais que Dieu vous sauve tous les deux de ma colère !

« J’avais prononcé ces paroles avec un accent de rage si impérieux, si hardi, que vous eûtes peur… M’enlaçant de vos baisers, vous ne rougîtes point de jouer avec moi le rôle d’une courtisane ; mes artères battaient, ma poitrine était en feu, vous m’entraî-