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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

ce tête-à-tête galant ; vous voilà le teint bien allumé de colère ? M. de Rohan ne vous parlait-il pas d’un nègre domingois enterré vif[1] pour avoir baisé à la promenade le mouchoir d’une créole ? Ce gouverneur de Santo-Domingo a du bon, n’est-ce pas, monsieur d’Esparbac ?

— C’est à la marquise de Vierra que le mouchoir appartenait, reprit M. d’Esparbac avec une oscillation de tête qui envoyait sa poudre dans les yeux des gens à qui il parlait. Ce nègre était de Porto-Piata : on croit que le drôle était amoureux de la marquise !… À la promenade des Ormes, la marquise de Vierra ayant laissé tomber son mouchoir, il l’a porté à ses lèvres avec une ardeur !… et en levant sur elle des yeux !… comme il en eût levé vers la vierge de sa cathédrale !… Pour cela, enterré vif. Nos voisins, vous le voyez, monsieur le prince, sont plus sévères que nous ! J’approuve l’exemple ; c’était une femme de qualité ! une grandesse de Madrid !

— Pour moi, reprit Mme  de Langey, je trouve que messieurs les Espagnols, nos voisins, ne devraient jamais avoir accès dans la partie française de Saint-Domingue. N’est-ce pas, monsieur le prince ? Vous savez qu’ils ne se font guère faute de nous apporter ici le produit de leurs pillages ?

  1. « Des traits de barbarie passés en usage frappèrent souvent la vue du voyageur, partagé entre l’admiration que lui causait le spectacle d’une magnificence inouïe et l’horreur des traitemens dont il était quelquefois le témoin. »
    Réflexions sur la colonie de Saint-Domingue, par
    M. Barbé de Marbois, page 63.)