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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

du maître d’hôtel, qui, pour réparer son souper indécent de la veille, était suivi lui-même d’une douzaine de négrillons porteurs du plus rare gibier et des plus beaux fruits.

L’attelage de la marquise demeurait encore exposé aux regards des curieux sous une des remises de la grande case, embarrassé des cordes qu’emploient les postillons nègres, cordes souillées par la boue de la veille et dont le seul éraillement prouvait assez que la voiture avait traversé les chemins les plus épineux. Un noir, étranger à l’habitation, était déjà occupé à nettoyer dans la cour cette magnifique voiture, déballée sans doute l’avant-veille de quelque navire, et dont la seule caisse en vernis-Martin coloriée (mode très en vogue, à cette époque, aux plus beaux Longchamps de Paris) pouvait bien valoir trente mille livres.

Le noir étranger, tenant en main son étrille, regardait cette députation avec assez de calme, quand Joseph Platon lui fit demander s’il ne venait pas se joindre à eux pour l’aubade. On lui présenta en même temps un bamboula et une flûte, à son choix. Ce domestique refusa en disant que ce tintamarre allait déplaire sans doute à sa maîtresse, qu’elle était arrivée depuis deux jours seulement de la Guadeloupe dans l’île et très-fatiguée de la traversée.

Joseph Platon fut sur le point d’arrêter l’élan général, mais comme le temps ne lui semblait pas entièrement sûr, il résolut de mettre à profit les premiers rayons de l’aurore et fit signe à ses musiciens de partir en frappant la terre de son bâton à fouet, comme l’eût fait un maître de chapelle…