Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/112

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Mélibée. Peu de chaleur ! Tu peux bien dire peu, puisque tu vis et puisque j’en suis encore à me plaindre de ton effronterie ! Quelle parole pouvais-tu me demander en faveur de cet homme, dont mon honneur ne fût point blessé ? Réponds, puisque tu dis que tu n’as point fini, et peut-être payeras-tu encore le passé.

Célestine. Madame, cette parole était une prière à sainte Apolline, fort efficace pour le mal de dents, et qu’on lui a dit que vous saviez61 ; le secours que j’implorais de vous, c’était votre ceinture, qui a touché, dit-on, les reliques qui sont à Rome et à Jérusalem. Le cavalier dont je vous parle souffre bien vivement de ce mal. C’est pour cela que je suis venue ; mais puisque ce que je vous ai dit a donné lieu à la cruelle réponse que vous m’avez faite, qu’il supporte sa douleur en punition d’avoir choisi une messagère aussi malheureuse ; et s’il me faut perdre confiance en votre grande bonté, je ne trouverai plus d’eau si j’en vais chercher à la mer. Mais vous savez, madame, que le plaisir de la vengeance ne dure qu’un instant, et la satisfaction que procure un bienfait dure toujours.

Mélibée. Si tu ne voulais que cela, pourquoi ne me l’as-tu pas dit de suite ? Pourquoi donc avoir employé tant de paroles et tant de détours ?

Célestine. Madame, parce que l’innocence du motif qui me conduisait me fit croire que, quelle que fût ma manière de l’exposer, on ne pourrait pas en penser mal ; si j’ai manqué au préambule nécessaire, c’est parce que la vérité n’a pas besoin d’employer beaucoup de couleurs. La compassion que m’inspirait sa douleur, la confiance que j’avais en votre bonté, arrêtèrent dans ma bouche, dès le principe, l’expression de la cause ; et comme vous savez, madame, que la douleur trouble, que le trouble fait hésiter la langue, que la langue obéit toujours à la pensée, pour Dieu ! ne me faites pas de reproches. Si ce cavalier a commis une faute, qu’elle ne me soit pas imputée, car je n’ai