Mélibée. Tu l’as bien méritée !
Célestine. Si je ne l’ai pas gagnée avec la langue, je ne l’ai pas perdue par l’intention.
Mélibée. Tu protestes tant de ton ignorance, que je finirai par y croire. Je veux donc suspendre ma sentence sur ta douteuse justification et ne pas juger ta demande d’après une interprétation peut-être hasardée. Ne t’étonne pas de la colère que j’éprouvais tout à l’heure, car de deux circonstances qui se sont rencontrées dans ce que tu m’as dit, une seule suffisait pour m’ôter le bon sens. Tu me nommes ce cavalier qui eut l’audace de m’adresser la parole, tu me demandes un mot en sa faveur sans me donner d’autre raison ; que pouvais-je penser, sinon que c’était une attaque faite à mon honneur ? Mais puisqu’un bon motif a causé tout cela, je te pardonne ce qui s’est passé ; mon cœur est en quelque sorte soulagé de voir que ce qu’on réclame de lui est œuvre pie et sainte, car c’en est une que de guérir les gens malades et souffrants.
Célestine. Et un tel malade, madame. Pour Dieu ! si vous le connaissiez bien, vous ne le jugeriez pas comme vous me l’avez montré dans votre colère. Sur Dieu et sur mon âme, il n’a pas de fiel, mais bien deux mille qualités ; généreux comme Alexandre, brave comme Hector, majestueux comme un roi ; gracieux, gai ; jamais il n’engendre de tristesse ; il est de noble sang, comme vous savez ; grand jouteur ; armé, on le prendrait pour un saint Georges ; Hercule n’avait pas plus de force et de courage ; il faudrait une autre langue pour dépeindre sa tenue, son visage, sa grâce, sa tournure ; tout cela réuni le fait ressembler à un ange du ciel. Je suis persuadée que le beau Narcisse, qui devint amoureux de lui-même quand il se vit dans l’eau de la fontaine, n’était pas aussi bien. Maintenant, madame, il souffre d’affreux tourments pour une seule dent de laquelle il se plaint sans cesse.
Mélibée. Et combien y a-t-il… ?