Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/130

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semblait qu’elle voulût se déchirer ; ses yeux tournaient dans tous les sens, et ses pieds frappaient le sol avec violence. Moi, pendant tout ce temps, cachée dans un coin, accroupie, ne disant mot, je m’applaudissais tout bas de tant de férocité. Plus elle s’agitait, plus je me réjouissais, parce que je la voyais à chaque instant plus près de s’arrêter et de se rendre. Pendant que ce magasin écumeux déversait toute sa colère, je ne laissais pas ma pensée oisive et inoccupée, de sorte que je trouvai le temps d’arranger ce que j’avais dit.

Calixte. C’est à cela que je pense, mère, tout en t’écoutant, et je ne trouve pas d’excuse qui ait pu être bonne et convenable pour déguiser ou colorer ce qui t’était échappé, et pour ne pas laisser planer un terrible soupçon sur le véritable but de ta demande. Mais je connais ton grand savoir ; en toutes choses tu me sembles plus qu’une femme, et de même que tu avais prévu sa réponse, tu as dû pouvoir préparer à temps ta réplique. L’histoire cite une célèbre Toscane, nommée Adelecta, qui trois jours avant sa mort prédit la fin de son vieux mari et de ses deux fils66 ; elle aurait eu moins de renom si tu eusses vécu de son temps. Je crois sans peine ce qu’on dit généralement, que la nature faible des femmes est plus apte aux ruses et aux finesses que la nature des hommes.

Célestine. Comment, seigneur ? Je lui dis que le mal dont vous souffriez était une douleur de dents, et que je réclamais d’elle une prière qu’elle sait et qui est fort efficace pour semblables affections.

Calixte. Ô la merveilleuse astuce ! ô femme unique en ton genre ! Rusée commère ! hardie enchanteresse ! discrète messagère ! Quelle cervelle humaine saurait imaginer une si heureuse manière de sortir d’embarras ? Je suis persuadé que si notre époque voyait vivre Énée et Didon, Vénus ne se donnerait pas tant de peine pour contraindre Didon à aimer son fils ; au lieu de faire prendre à Cupidon la forme du jeune