Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/146

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la vue de Rome entière, et cependant il ne cessa pas d’être honoré et il ne perdit pas son nom de Virgile72.

Parmeno. Ce que tu dis est vrai, mais ce ne fut pas par punition.

Célestine. Tais-toi, imbécile, tu ne connais rien aux usages de l’Église. Qu’importe que ce soit de la main de la justice ou d’une autre manière ? Notre curé, que Dieu garde, le savait bien, car lorsqu’il vint la consoler, il lui dit que bienheureux étaient ceux qui supportaient les persécutions de la justice, que le royaume des cieux était pour eux73. Or, vois s’il ne vaut pas mieux souffrir quelque chose en ce monde, afin de jouir de la gloire de l’autre. Il y a plus, en raison des accusations portées contre elle à tort et fort injustement, on la força, à l’aide de faux témoins et de cruelles tortures, à s’avouer ce qu’elle n’était pas ; mais comme elle avait bon courage, et comme le cœur accoutumé à souffrir supporte plus facilement les mauvais traitements, tout cela ne fut rien. Mille fois depuis ce jour je l’entendis dire : « Si mon pied a été brisé, c’est pour mon bien, car je suis mieux connue qu’avant. » En pensant à tout ce que ta bonne mère a souffert ici-bas, nous devons croire que Dieu l’en récompensera bien là-haut, si ce que notre curé a dit est vrai, et cela me console. Sois donc avec moi ce qu’elle était, un ami véritable ; travaille pour être bon et cherche toujours à le paraître ; ce que ton père t’a laissé est en lieu sûr.

Parmeno. Laissons là les morts et les héritages ; parlons des affaires présentes, cela nous vaut mieux que de penser aux choses passées. Tu te souviendras sans doute qu’il n’y a pas longtemps que tu m’as promis de me faire avoir Areusa, quand je te dis au logis que je mourais d’amour pour elle.

Célestine. Si je te l’ai promis, je ne l’ai pas oublié ; ne crois pas que j’aie perdu la mémoire avec les années. J’ai fait échec à ta belle à ce sujet plus de trois fois en ton absence. Je la crois mûre à présent ; dirigeons-