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Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/148

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Areusa. En conscience, j’en ai grand besoin, je me suis sentie malade aujourd’hui tout le jour, c’est la nécessité plutôt que le vice qui me fait prendre en ce moment mes draps de lit en guise de jupons.

Célestine. Puisque tu n’es pas à ton aise, mets bas ta robe et couche-toi, tu me sembles une sirène. Ah ! comme ta robe sent bon quand tu l’agites ! Tout réussit à celles qui ont de l’audace ; j’ai toujours eu confiance en tes faits et gestes, en ta grâce et en ton esprit. Que tu es fraîche ! Dieu te bénisse ! Quels draps et quelle courte-pointe, quel oreiller, quelle blancheur ! Perle d’or, tu verras si elle t’aime celle qui vient te voir à cette heure ; laisse-moi te regarder tout à mon aise, c’est un bonheur pour moi.

Areusa. Doucement, mère, ne t’approche pas de moi, tu me chatouilles, tu me fais rire, et le rire augmente ma douleur.

Célestine. Quelle douleur, mon amour ? Te moques-tu de moi ?

Areusa. Qu’il m’arrive malheur si je plaisante ; voilà quatre heures que je souffre du mal de mère, il me remonte à la poitrine, il veut m’ôter de ce monde. Je ne suis pas aussi vicieuse que tu le penses.

Célestine. Voyons, dis-moi à quelle place, je tâterai. Je connais ce mal pour mes péchés ; chaque femme au monde a ses entrailles qui la font souffrir.

Areusa. Plus haut, sur l’estomac.

Célestine. Dieu te bénisse et l’archange saint Michel te protége ! Que tu es grasse et fraîche ! Quels seins et quelle gentillesse ! Je te savais belle, parce que j’avais vu ce que tout le monde peut voir ; mais je puis te dire maintenant qu’il n’y a pas dans la ville trois corps comme le tien parmi tous ceux que je connais. Tu ne parais pas avoir quinze ans. Ah ! bienheureux l’homme auquel tu permettras de jouir d’une telle vue ! Pour Dieu ! tu commets un péché en ne faisant pas part de tant de grâces à tous ceux qui t’aiment bien ; Dieu ne