Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/185

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plaie et doublent la souffrance, qu’il ne lui a fallu de courage pour supporter le premier coup qui le frappa lorsqu’il était en santé. Or donc, si vous voulez que je vous guérisse et que je vous découvre sans hésiter la pointe aiguë de mon aiguille, entourez vos pieds et vos mains d’une ligature de tranquillité ; mettez sur vos yeux une couverture de pitié, sur votre langue un frein de silence, dans vos oreilles un bouchon de calme et de patience, et vous verrez agir une femme pour laquelle semblables blessures n’ont rien de nouveau.

Mélibée Oh ! comme ta lenteur me fait mourir ! Dis, pour Dieu, ce que tu voudras ; fais ce que tu sauras ; ton remède ne saura être si cruel qu’il égale ma peine et mon tourment. Soit qu’il touche à mon honneur, soit qu’il attaque ma réputation, soit qu’il blesse mon corps, lors même qu’il déchirerait ma chair pour arracher mon cœur endolori, je te donne ma foi d’être tranquille et de te bien récompenser si j’éprouve du soulagement.

Lucrèce, à part. Ma maîtresse a perdu le bon sens, elle est bien mal ; cette maudite vieille l’a ensorcelée.

Célestine, à part. Jamais il ne me manquera un démon ni d’un côté ni de l’autre ; Dieu m’a débarrassée de Parmeno, il m’envoie maintenant Lucrèce.

Mélibée Que dis-tu, mère ? que disait cette fille ?

Célestine Je ne l’ai pas entendue ; mais qu’elle dise ce qu’elle voudra. Sachez qu’il n’y a pas dans les grandes cures de chose plus désagréable aux chirurgiens zélés que les cœurs faibles ; leurs soupirs, leurs douloureuses paroles, leurs mouvements de sensibilité donnent de la crainte au malade, lui ôtent la confiance en sa guérison, ennuient et troublent le médecin ; le trouble fait hésiter la main, et l’aiguille va sans ordre. Il résulte évidemment de ce que je vous dis qu’il est fort nécessaire pour votre salut qu’il n’y ait personne devant nous ; ainsi vous devez lui ordonner de sortir ; toi, ma fille Lucrèce, pardonne-moi.